ÉLOGE D'UNE JOURNÉE PERDUE

1.27.2009

J’ai une tante qui est décédée récemment. Le cauchemar de toute personne vivant seule: il s’est passé plusieurs jours entre le moment où elle s’est éteinte paisiblement et le moment où un voisin bienveillant s’est inquiété de l’immobilité de ses bottes et de sa voiture qui n’avait pas encore été déneigée. Quelques jours, mais heureusement pas trop: on est pas dans une de ces histoires d’horreur trop fréquentes qui se termine avec un corps méconnaissable et un appartement insalubre.

Ma tante était une femme très active. Scrabble de compétition, championne de la cause des Fermières du Québec, religieuse défroquée, voyageuse émérite et professeur retraitée: une personnage coloré en palettes d’activités intenses. À 76 ans, j’aimerais penser qu’on pourra tous avoir une vie aussi active. La santé avait eu ses hauts et ses bas, mais rien pour l’abattre.

Un collègue philosophe a eu cette phrase pleine de sagesse l’autre jour: «The day you’re gonna die, it’s gonna be a bad day no matter what!» C’était au cours d’une conversation plutôt générale sur l’économie, mais le commentaire avait une portée plus large, je trouve. C’est certainement difficile de croire que la journée de son propre décès pourrait en être une bonne. Mais il y a aussi la manière.

Ma tante a été découverte un dimanche. La date du décès a été estimée par les autorités: sur les papiers, c’est le mercredi précédent qui aura le statut officiel. Mais après vérifications avec des amis et des connaissances, ma famille a eu vent d’une dernière conversation que ma tante aurait eu avec une de ses amies le jeudi matin. Et d’après un de ses voisins, elle avait lu son journal local livré le jeudi. On ne vit pas 76 ans sans développer des habitudes indécrottables: le journal avait été mis au recyclage, signe indéniable qu’il avait été lu et jugé digne d’être écologiquement évacué.

Bilan: elle est donc morte le jeudi. Ce qui n’est rien de dramatique: sans autopsie, la détermination d’un décès est approximative: nous avons tous été spectateurs de plus d’une enquête légiste par le biais de nos petits écrans, alors nous sommes tous un peu plus éduqués sur le sujet de cette médecine bien particulière que nous ne le devrions...

Les papiers officiels resteront donc inchangés, volant effectivement une pleine journée à ma tante, qui aurait peut-être trouvé la chose amusante. Mais ça m’attriste tout de même. Car elle a parlé a une amie, lu son journal, écouté sa télévision (le poste était toujours ouvert lorsque les policiers sont entrés), que sais-je d’autre. Je ne peux m’empêcher de penser que malgré sa fin tragique et le commentaire de mon collègue, cette dernière journée a été pour ma tante une bonne journée.

Diary of a lost day. Un bon titre de chanson. Quelque chose d’un peu triste mais pas trop, du Death Cab For Cutie, par exemple.

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