Au début était la musique...

1.19.2009

Il y a ce très joli concept dans les mythes de la création de Tolkien: que le monde nait d'une chanson et que de son harmonie découle celle de l'univers en gestation. De la dissonnance naitra le mal et ses subterfuges. Si je me souviens bien, on retrouve ça dans les volumes du Silmarillion (inspiration d'un groupe prog connu avec un chanteur au nom de poisson, vous devinez qui?) et ce sont des bouquins hermétiques, s'adressant plutôt au fana qu'à l'amateur; au collectionneur d'idées complétiste le plaisir de se vautrer dans l'abondance de mots de ces opus. J'avoue faire parfois partie de ce groupe: heureusement, ça ne dure jamais trop longtemps. Dans le cas des deux volumes du Silmarillion, disons simplement que Tolkien passait plus de temps à fignoler ses mythes qu'à raconter une gentille histoire. Résultat: un long bottin mythologique sous forme d'almanach du peuple. C'est méchant, que les fans me pardonnent: je suis un traître à la cause du Seigneur Des Anneaux, je sais. (D'ailleurs, pourquoi lire ces ouvrages longs et fastidieux quand la version cinématographique de Peter Jackson en fait un résumé si efficace?)

Bon. C'est un peu en biais de ce dont je voulais vous entretenir. Tolkien, avec son idée de chanson prégnante de l'univers, n'a pas fait preuve de grande invention. Des mythes similaires sont répandus. Sans faire une recherche exhaustive, il me semble bien avoir déjà entendu quelques légendes chez plusieurs tribus amérindiennes pour le local, et je crois que du côté des aborigènes, on se raconte des histoires dans les mêmes gammes. Mais la poésie inhérente à cette idée d'une musique qui se ferait vecteur de forces cosmiques est indéniable tout autant qu’irrésistible.

Quelle musique aurait pu créer l’univers? Si on pouvait imaginer un album qui remplirait toutes les qualités nécessaires, et qui serait malgré tout intelligible pour le cerveau humain? (J’ajoute cette condition de manière facultative : il est évident que les forces de l’univers dépassent l’entendement de l’intellect humain; ce n’est que par l’usage d’outils spécialisés que notre espèce réussira à maîtriser les idées qui expriment ces forces titanesques – imaginez-vous le ferblantier, armé de lourdes pinces, de gants protecteurs et d’un masque pour cacher son visage – remplacez ce ferblantier par un sympathique cosmologue, et insérez dans ses mains, au lieu des massifs outils de métal, l’artillerie lourde de la physique des particules et des mathématiques des probabilités et vous aurez une idée de ce que j’imagine – si en plus votre cosmologue a une gueule de glam-rocker gothique vêtu d’un sarrau, vertige et folie obligent, je vous en serai reconnaissant : enfin réunis, mes héros m’inspireront plus encore!)

Quelle musique donc se ferait sage-femme de notre vaste monde? Selon vos goûts, vous répondrez différement à ma question, c’est tout naturel. D’aucuns trouveront chez les prog-rockers des épopées qui satisferont leurs ambitions créatrices. J’en connais qui pointeront plutôt du côté des modernes qui puisent eux-mêmes aux sources cosmologiques (Bartok et sa suite pédagogique pour piano Microcosmos vient à l’esprit).

Personnellement, c’est du côté des Future Sound Of London que j’ai envie de me tourner. Si les premieres productions de la formation n’avaient pas l’intérêt des albums ultérieurs (les échantillonnages mal dégrossis d’Accelerator ne permettaient pas de présager la force évocatrice des collages d’ISDN ou de Dead Cities), c’est dans la transition que se trouvent à mon avis les plus fines production du groupe. Particulièrement, la collection de remix de Lifeforms EP (Paths 1 @ 7). On y retrouve la version originale de l’album, avec la voix d’Elizabeth Fraser (des Cocteau Twins); Talvin Singh et ses légendaires tablatronics y figure, mais aussi des versions remixée d’autres pièces de l’album original, dans des formes reconstruites qui s’imbriquent et se collent les unes aux autres. Je ne dis pas que c’est le meilleur de FSOL. ISDN est probablement le meilleur album de l’histoire du groupe, qu’on lui pardonne ou non l’échantillonnage excessif de Synergy (je suis magnanime, car j’adore la citation d’Audion dans la conclusion de l’album). Mais Lifeforms EP est particulièrement bien réussi, et la répétition des motifs du single au travers des divers remixes donne au tout une ambiance digne d’une simulation cosmologique.

À écouter en contemplant des photos de Hubble, par exemple…

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